Tu viens, on va chasser ?

Tu t’éveilles paisiblement. Tu jubiles dans un long bâillement paresseux lorsque tu sens quelques rayons lumineux réchauffer ton flanc tigré. Tu affiches un mince sourire joyeux en étirant longuement tes pattes toutes engourdies de sommeil. Tu prends quelques minutes pour démêler tranquillement ton pelage brun hirsute où plusieurs boules de mousse humides se sont accrochées à tes poils rêches. Assis droitement au centre de ta vaste tanière déserte, ton arrière-train à semi-enfoncé dans ton nid encore tiède, tu observes un instant la lumière filtrer par le linceul de fougères qui cache l’entrée de ton antre, formant des centaines de points aux teintes orangées qui mouchètent le sol de terre. Emerveillé malgré ton esprit brumeux de fatigue, ton visage s’illumine de bonheur, tes grands yeux verts se mettant à pétiller. Alors tu décides de rester un peu ici, à fixer les variantes de couleur et le sol ponctué. Ce n’est que quand tu te lasses du spectacle que tu bondis lestement sur tes fins membres musculeux, estimant qu’il est temps de prendre les patrouilles en main. Tu espères que Lune Eternelle s’en est déjà chargé, cela te faciliterait considérablement la tâche, mais à dire vrai, tu n’es même pas certain que la jeune lieutenante soit levée. Tu te diriges lentement vers la sortie végétale, passant d’abord ta petite tête rayonnante entre deux plantes suspendue, le rideau glissant sur ta peau et s’ouvrant sur ton passage. Tu t’arrêtes sur le pas de ta porte, profitant du puissant soleil à son zénith qui se déverse sur ton corps endoloris. Tu jettes un regard circulaire autour de toi, le camp est calme, seuls quelques courageux sont déjà debout pour s’occuper des fortifications et des patrouilles, Lune Eternelle en fait partie. Tu lui lances un gigantesque sourire ravie en trottinant lourdement vers elle. Elle se tient fièrement en périphérie du camp, son épaisse fourrure blanche scintillante de propreté volant au vent. Elle est probablement occupée à donner les directives pour les fortifications préventives. Elle est entourée d’un petit groupe de félins crispés et tendus, surement épuisés. Tu aperçois du coin de l’œil Rosée du Matin [PNJ], restait en retrait, qui toise méchamment Lune Eternelle. Tu ne t’en inquiètes pas, elles ont toujours été en compétition. Tu interpelles la jolie Lune Eternelle en pleine conversation.

 

« Salutation, Lune Eternelle ! » t’exclames-tu d’un ton enjoué  « Comment te portes-tu ? Puis-je te parler en privé ? »

 

Tu salues vaguement la population d’un signe de queue distrait avant de prendre la direction d’un buisson touffu à l’écart des autres.

D’une démarche rigide et quelque peu maladroite, tu t’avances à travers le tunnel de fougères vertes et de ronces brunes, gardant la tête fièrement droite et évitant les racines qui jaillissent du sol. Tu sens la soyeuse fourrure douce de Lune Eternelle frôler ton flanc et tu ronronnes quand elle te caresse délicatement le dos en te léchant. Tu renifles à plein poumon son parfum pour chasser ton anxiété aux souvenirs de l’époque où tu faillis la perdre, car à présent, elle était là, tout contre ton poil tigré. Tu avances de ton pas lourd jusqu’à la lisière des bois où tu t’arrêtes pour te tourner vers ta lieutenante. Ton grand regard émeraude la dévisage. Son minuscule nez rose frémit au rythme de la brise légère, ses longues oreilles fines se dressent de curiosité entourées de leur cascade de pelage blanc et tu observes avec délice une étincelle de bonheur scintiller dans ses iris bleus qui te brûlent la peau avec insistance. Un mince sourire étire tes babines sur de belles canines pointues et tu donnes un tendre coup de tête familier dans l’épaule maigre dans laquelle se dessinent quelques muscles noueux, mais pas comparables à ton imposante musculature de fer.



« Je vais bien, merci Lune Eternelle, et oui j’ai bien dormi ! » Miaules-tu dans un ronron affectueux « Et toi ? Te sens-tu en forme pour une partie de chasse ? Je serais fort content si tu l’acceptais, cela fais si longtemps que le chef du clan du Vent n’as pas eu l’occasion de partager avec sa lieutenante ! »



Tu lui adresse un clin d’œil narquois en l’invitant à te suivre entre les gigantesques troncs d’arbres qui s’élevaient dans le ciel azure où pas un seul nuage ne s’était réfugié. Le temps était réellement idéal pour traquer le gibier, tu le sais, tu l’entends, et tu le flaires. Il ne te faudra pas longtemps pour trouver le coin le plus giboyeux. Tu t’élances dans un trottinement régulier en lançant sans cesse des coups d’œil par-dessus ton épaule pour vérifier que ta lieutenante restée en retrait te suit. Tu doutes soudain. Tu la sens distraite, comme hésitante mais surtout très pensive. Alors que tu es occupé à te retourner pour la regarder, ton coussinet noir bute dans un renfoncement de terre dans l’étroit sentier que vous aviez emprunté et tu tombes à la renverse, chutant dans la poussière qui s’évapore dans un gros nuage étouffant.



« Pardon. » Murmures-tu honteusement en baissant les yeux sur ton chemin « Je suis distrait. »



Tu te relèves péniblement, toussant à cause de ta gorge irritée.

Il sourit. Et puis, comme prit par une folle idée, il te demanda d'un ton joyeux si tu voulais aller chasser. Tu acquiesce d'un clin d'œil. Il te jette un clin d'œil narquois et tourne les talons pour enfoncer dans les fougères. Tu le suis, pensive. Tu ne sais pas par où commencer, comment le lui dire. Le ciel est bleu, les oiseaux chantent, tu n'as pas envie de gâcher se moment, unique, heureux. Etoile de Topaze, te sens étrange, distraite, lointaine. Il se retourne, se prend le pied dans un trou, et... bam ! Il est par terre. Il toussote et crachote dans un nuage de poussière. Tu rigole en le voyant se relever avec peine. Il s'excuse piteusement, honteusement.

Tu rigoles, tu ne peux pas t'en empêcher. A la fin tu te roules par terre les larmes aux yeux en riant à t'en décrocher les mâchoires. Il te faut plusieurs minutes pour arrêter de rire. Enfin, ta crise est passée. Tu te relèves et t'excuse avec un petit :

« Pardon. »

Puis vous reprenez la route dans un silence gêné. Au bout d'un moment Etoile de Topaze a attrapé un mulot et deux grives, alors que tu es toujours bredouille. Au bout d'un temps, tu t'arrêtes; tu es enfin prête à dire ce que tu voulais lui dévoiler, mais tu ne sais pas comment le dire. Alors, tu prends une grande inspiration et tu bégayes :

« Etoile de Topaze... Je... heuh... Je voulais te dire une chose importante... Et bien... voilà je ne veux plus être la Lieutenante du Clan du Vent. Je renonce. Je veux redevenir une simple guerrière. 
J'espère que tu comprends mon geste.
En tout cas pardonne moi. ces dernières lunes ont été les plus belles mais aussi les plus tristes de toute ma vie. »

Tu passes doucement ta queue sur son pelage en remontant vers sa tête, puis tu la pose tendrement sur sa bouche qu'il venait d'ouvrir. Tu sens que les larmes recommencent à couler, comme ce matin. Tu enlève le bout de ta queue de son museau, t t'assois et tu attends.

Tu t'éveilles quand la voix de ton vieil ami retenti à tes oreilles. Tout doucement tu ouvres les yeux, ensuite tu te redresses et enfin tu sautes joyeusement sur tes pattes. Il est là à côté de toi et semble avoir tout oublié, il ne se souvient de rien, ce qui est plutôt pratique, mais il faudra que tu lui en parles de nouveau en espérant qu'il ne retombe pas dans les pommes. Le soleil se couche et tout doucement la lune apparaît. Il fait sa toilette, inconscient, insouciant. Tu le regardes à la fois triste et heureuse. C'est ton chef, ton meilleur ami, ton amour et pourtant tu va le trahir, l'abandonner. Toute ta vie, tu n'as eu qu'une envie, devenir Lieutenante et puis, un jour, Chef. Mais aujourd'hui tout à chat changer, à cause d'une chose futile et inutile : l'amour. C'est l'amour d'un chat qui ne veut pas de toi qui te détruit petit à petit. Il est temps de partir, de l'oublier ou de trouver une nouvelle voie, un nouveau chemin. Il est temps pour toi de découvrir ton destin, d'accomplir ce pour quoi tu as été créée. Il a fini sa toilette. Tu te lèves et vous prenez le chemin du camp. Tu lui glisse un regard en coin et une larme, unique et ronde, douce et acide, éternelle et éphémère, tout à la fois coule le long de ta joue. Tu inspires et tu parles, la voix douce, grave et posée, la voix teintée d'un léger regret et d'une grande tristesse :

-Etoile de Topaze, te rappelles-tu de ce dont nous étions en train de parler tout à l'heure ??

Tu attends impatiemment sa réponse. Tu espères qu'il a tout oublié car tu pourrais reprendre ta vie d'avant ce jour. Mais il se rappelle.

Nous étions rentrés. Un bruissement familier de feuilles qui se frottent les unes aux autres avait bercé mon sommeil toute une nuit. La sensation douce et glaciale du marbre sous mon ventre m'avait ramené lentement parmi les éveillés, et je n'étais visiblement pas le seul dans cette tanière. La silhouette noire d'un félin se découpait dans un rayon de lumière clair, ses minces épaules se dessinaient dans l'encadrement de l'entrée de ma tanière. Je la reconnus. Et je reconnus bien vite les lieux aussi. Je baissais un regard quelque peu dérouté sur mes pattes croisées en-dessous de mon museau, papillonnant des paupières pour chasser les toiles d'araignée qui s'étaient tissées sous mon crâne. Oui, je me rappelais. Les souvenirs me revenaient comme une grande claque en pleine figure, et j'écarquillais les yeux en me détournant de Lune Eternelle. A présent, je fixais obstinément le fond de ma caverne sombre. A quoi bon la regarder maintenant que la trahison s'inscrivait partout derrière elle ? Un noeud avait coincé la salive dans ma gorge, je déglutis plusieurs fois avant de retrouver une respiration régulière. Où allait-on sans lieutenant ? Nul part, je le crains. 

- Etoile de Topaze, te rappelles-tu de ce dont nous étions en train de parler tout à l'heure ? Murmura-t-elle, si faiblement que je crus un instant qu'elle avait peur de me réveiller. 

Un quart de seconde, son ton était si peu assuré que je me mis à douter de ce que j'avais pu entendre. Mais non, ça me revins avec encore plus de vigueur et je fus certain de moi. Je ne voyais pas où elle voulait en venir. Qu'est-ce que je pouvais faire, si elle souhaitait partir ? Le clan en serait touché, trop touché. Je me renfrognais davantage et enfouissais ma truffe dans les poils bruns de mon poitrail ébouriffé. Une part de moi espérait qu'elle s'en irait sans demander son reste, le plus vite possible pour m'en remettre rapidement. Et une autre part espérait plus que tout qu'elle ne lâcherait rien et qu'elle resterait là à attendre une réponse. Je restais ainsi un long moment, dans un silence olympien, si olympien qu'on entendait les miaulements des chatons affamés qui appelaient leurs mères à l'autre bout du camp. Je finis par ne même plus savoir si elle était toujours là. Je tentais de glisser un coup d'oeil discret vers l'entrée de mon antre, pour l'apercevoir, tournant insensiblement la tête. 

- Je n'ai pas reçu de coup sur la tête, il me semble ? Répondis-je avec une froideur implacable qui ne me ressemblait guère. 

Je perçus le flottement d'une fourrure ivoire et deux yeux vairons rivaient droit sur moi. Trop c'était trop. Je bondis sur mes pattes, bandant tous mes muscles et inspirant profondément une goulée d'air frais qui eût l'effet d'une herbe apaisante. Je me battais pour ne pas rebrousser chemin, nous devions nous confronter face à face. 

- Et maintenant ? Grondais-je sourdement en faisant volte-face pour me retrouver nez-à-nez avec la lieutenante.

Ou l'ancienne lieutenante ?

Il enfouit sa truffe dans son pelage ébouriffé, il a l'air plus que secoué. Tu le plaindrais presque, mais c'est de sa faute tout ça. C'est lui qui t'as trahi le premier. C'est lui qui a trahi le code du guerrier et le Clan des Etoiles, pas toi. Il reste quelques minutes dans cette position avant de se redresser et de vérifier si tu es toujours là. Oui tu es là, tu ne partiras pas. Du moins pas tout de suite. Il prend la parole :

- Je n'ai pas reçu de coup sur la tête, il me semble ?

Son ton est froid, dur, cassant même. Comme si tout était de ta faute, toi celle des deux qui était la plus fidèle aux valeurs du Clan. Tu le fixes de tes deux yeux, l'un bleu, l'autre vert. Soudain il bondit sur ses pattes comme si il avait été piqué par un insecte. Il grogne, furibond :

- Et maintenant ?

Tu es triste, mais tu lèves la tête et tu le fixes, droit dans les yeux avant de lui répondre :

- Maintenant, il n'y a plus de retour en arrière. Si tu avais plus suivis le code du guerrier et fais attention à moi, ça n'aurais jamais eu lieu, jamais ! La prochaine fois réfléchis bien à tes actes Etoile de Topaze ! Si tu veux vraiment que je te pardonnes un jour, montre-moi comment le faire.

Je laisse quelques instants s'écouler et je murmure :

- Je t'aime Etoile de Topaze. Je t'aime depuis toujours, mais tu ne l'a jamais vu, c'est pour cela que j'abandonne. Te vois tous les jour et t'assister me ronge de l'intérieur. Je suis jalouse de ton bonheur qui aurait du être notre bonheur.

Ce qu'il te dit te laissa sans voix un instant. Ainsi il croyait qu'il était à plaindre pour ses mauvais choix ? Que le Clan passait après son propre bonheur ? Toi soit ! Mais le Clan, jamais ! Le Clan est toute la vie d'un guerrier et encore plus d'un chef, mais tu peux encore comprendre qu'il sacrifie ton bonheur, mais le Clan, certainement pas ! Encore une chance d'être heureuse... non. Tu n'en n'as plus depuis bien longtemps. Depuis que tu l'as rencontré en fait. Depuis cette époque tu lui appartient corps et âme à tout jamais. Il détourna le regard et se tasse comme pour se cacher. Tu t'approches de lui, la queue basse, triste. Tu lui pose le museau sur la joue avant de reculer légèrement or de sa portée. Doucement tu parles :

- Etoile de Topaze, pardonnes-moi si je te semble injuste, mais je suis, as été et serais toujours farouchement jalouse et possessive. Tu dis que je peux encore trouver le bonheur, mais c'est faux. Je t'appartiens corps et âme depuis que je t'ai rencontré que tu le veuilles ou non. Je suis à toi pour toujours et à jamais même si je ne le voulais pas. Je n'ai qu'une seule question à te poser : Es-tu sur de ne rien regretter ?

Tu connaissais déjà la réponse à ta question avant même de la lui avoir posée. Tu l'as lu dans ses yeux pendant qu'il te parlait et tu sais que tout est perdu. Sans lui laisser le temps de répondre tu reprends la parole, ta voix se casse, se brise et disparaît dans un sanglot :

- Pourras-tu me pardonner mon aveuglement un jour ? Je crois que je comprend ta douleur, de ne pas pouvoir vivre avec celle que tu aimes et élever tes petits. Je suis dans le même cas, mais d'une autre manière, je n'ai juste pas eu de petits...